mardi 1 août 2017

Epopée (jour 3 - part 2) : coule coule la Lesse

Il nous faudra 30 minutes pour trouver un resto. On passe d'abord le long de la berge où il y en a toujours d'habitude, mais il se trouve qu'elle est en travaux. Par chance on finit par en trouver un, mais il est 3h30 quand on se met à manger. Le ciel est menaçant et lâche quelques gouttes, mais on peut se mettre en terrasse où on dégustera un filet américain - frites avec de bonnes bières. 
Au resto

On se remet en route repus et on se met à la recherche du bouclard de Dinan. Je suis plutôt confiant : des tiges de selles ils en ont toujours, il n'y a que 3 diamètres différents et celui de Benji me semble être le plus répondu : il y aura ce qu'il faut. Bin pas forcément en fait... Quand Benji ressort du magasin, il a un truc dans les mains mais semble sceptique. « C’est le seul truc qu’il a, ou une espèce de machin avec un ressort ». Par chance, le seul modèle à peu près sérieux du vélociste est exactement du diamètre du cadre de Benji. On a de la chance dans notre malchance. Néanmoins Benji est saoulé et en a un peu marre des galères, il a envie de rentrer. En plus, il constate qu’il a perdu complétement la barre de soutient de son super mega ultra génial porte-bagage de la mort qui tue, et que du coup les montants latéraux risquent de se promener un peu trop. La cocotte commence à être pleine pour notre Benjou et on devine la fumée qui sort des oreilles.
Je remonte la selle pendant que Benji rumine

Nous voilà repartis en direction de notre prochaine souffrance : la deuxième saleté du jour. On avait évoqué un temps de prendre le funiculaire pour grimper en haut de la falaise de Dinan et très vite on se dit que cela aurait été une bonne idée. Si sur le papier la précédente semblait plus dure, celle-ci est plus longue, avec des passages raides où il est nécessaire de s’entraider pour passer les vélos. Très vite les fourmis se mettent en ordre de marche et on se relaie pour tracter les machines. Un qui monte à vide, attrape le guidon d'un vélo qui est poussé par un autre, et on recommence. Ca tire sur les mollets car les pentes sont raides et glissantes, les vélos sont lourds, les sacs encombrants. Chacun contribue à transporter le matos de toute la troupe. On disputera à la fin Faby et David qui ont trop forcé alors qu’ils sont physiquement endommagés. À partir de maintenant les éclopés ne doivent pas forcer lors des portages !
Une fois qu’on est en haut, on se dit qu’il ne reste plus grand chose, et c’est vrai qu’il ne reste plus grand chose. Les 15 derniers kilomètres sont "quasi" à plat (surtout si on les compare aux 2 saletés où on a porté/poussé/lancé les vélos). À plusieurs reprises, Benji qui dispose sous ses yeux du profil, nous dit que celle-ci c’était la dernière. Et à chaque fois il y a un petit coup de cul encore derrière. Comme déjà dit hier, les derniers kilomètres sont toujours les plus durs. Chaque fois que Benji annonce qu'on vient de faire la dernière, Francky commente d'un "jusqu'à la prochaine". Faby dirait qu'il râle. Moi je dirais juste qu'il est peu caustique.
Vers 18h30, il reste une dizaine de bornes et il est clairement trop tard pour espérer arriver à temps pour le repas, je préviens l’auberge et Benji active le plan pizzas. De toute façon ils avaient pas l'air sympa à cette auberge, et vu qu'on est en gite ce soir, on pourra faire réchauffer sans soucis.
À un moment donné, enfin, on en est tous convaincus, il ne reste que 6-7 km de plat et de descente, et en plus cela se fait en forêt. On va pouvoir terminer ce trajet sur du fun forestier, et on espère arriver avant la pluie et 19h30. Sauf qu’en fait cette partie du GR qui longe la Lesse devient exclusivement piétonnière. Comme parfois la Lesse vient lécher les rochers, le chemin grimpe en escalier (plus ou moins naturel à base de pierre, racines, bouts de bois) sur le rocher pour redescendre en escalier (du même accabit que celui qui monte), et à plusieurs reprises on doit porter les vélos pour grimper (et donc pour descendre). Là-dessus, il se met à pleuvoir, et les marches deviennent hyper glissantes. Pour couronner le tout, les passages entre les rochers se font au milieu des ronces et des orties.Ces cinq derniers kilomètres se présentent bien.
Après un escalier particulièrement sévère, où je porte bien mon vélo pour l’épargner, je sens un frottement quand je le fais rouler. Je regarde de plus prêt et il me semble que mon porte-bagage touche ma roue. En effet, j’ai perdu une vis. Celle-ci sert à faire le pivot de réglage et j’avais conseillé à Fab la vielle de ne pas la serrer trop fort : de toute façon elle dispose d’un écrou bloqueur, inutile de serrer comme un fou et de risquer d'abimer le matos. Bien joué Fabbri ! Malgré l'écrou bloqueur, les vibrations ont dues désserer le boulon et la vis s'est fait la malle. Je recherche un peu l ‘objet manquant, mais c’est peine perdue... Me voilà à nouveau dans une belle situation...
Mais il s'avère que des ennuis de porte-bagages, j'en avais eu avant le départ. Cinq jours avant de partir, j'avais constaté que mon porte-bagage était abimé à un endroit : la patte où passe justement cette même vis que je viens de perdre, était fendue. Peut-être était-ce justement lié à un serrage de vis trop appuyé. Peut-être c'est juste un défaut. Quoiqu'il en soit, je l'avais constaté suffisamment tôt pour me poser la question de réparer ou remplacer. Ne voulant prendre aucun risque avec le matos avant l'Epopée (le nez fin ou l'habitude de la lose), j'avais racheté un nouveau porte-bagages, similaire au précédent. Mais échaudé par cette découverte des derniers jours, je m'étais dit que je n'étais pas à l'abri d'un autre soucis de porte-bagage, et j'avais donc démonté des morceaux du précédents, compatibles avec le nouveau, pour les embarquer avec. Parmi ce morceau : la fameuse vis que je viens de perdre., ainsi que son écrou !!! Enorme !!! Je suis partagé entre l’agacement d’avoir à nouveau une couille matérielle et le bonheur d’avoir contré la guigne. Décidemment, je ne suis pas un veinard (sans pour autant être mega poissard non plus, il faut reconnaitre que ce ne sont que des petits malheurs), et cela donne raison à mes préparations qui semblent parfois excessives. Quand on n’est pas un chanceux naturel, on compense par de l’organisation. Je sors la vis de mon sac, l’embrasse, la lève tel un trésor sorti du coffre dans Zelda, et l’installe.
Et cette fois je sers comme un poney

Benji et Faby décident de continuer en avant. Faby parce qu’il ne souhaite pas que son tendon refroidisse, Benji parce qu’il en a plein le sac et qu’il souhaite que Marie n’attende pas trop longtemps seule. On leur accorde notre bénédiction. Francky et Dave me donnent un coup de main pour réparer mon porte-bagage et on peut remettre en route. S’enchaine alors une succession d’escaliers, de descentes dans la boue impraticable aussi bien sur le vélo qu’à pied, des passages qui n’en sont pas, bref, du vrai bonheur pour une rando pédestre, mais certainement pas pour des cyclistes avec bagages.
Dois-je rappeler qu’il pleut ? Ça n’arrange en rien notre situation. Je vois sur le visage de Francky qu’il en a plein le dos. Dans un passage entre orties il se rate et tombe dedans. Même sur le plat il y a régulièrement des troncs qu’il faut franchir. Le paysage est néanmoins magnifique, la brume s’élevant de la Lesse lui donnant des aspects Loch Nessiens. David nous indiquera à l’arrivée qu’il a pris du plaisir à contempler ces paysages. De mon côté je rumine encore la perte de la vis, me demandant comment je vais réussir à aller au bout avec toutes ces tuiles. Et puis je vois la trogne de Francky et je me demande comment faire pour que tout le monde aille au bout parce que là je sens bien qu’on est proche de la rupture. Surtout qu’on arrive à présent à un étroit pentu escalier de fer avec rembardes où on ne peut passer à côté de son vélo. Francky et moi ferons donc 3 allers-retours pour épargner la corvée à David, qui veut pourtant absolument porter sa charge, mais qui doit vraiment éviter d'en rajouter sur sa cotelette. Vache ! On se demande quand ça va finir.
Je vois encore 3 km jusque destination et croise les doigts pour que les 2 derniers soient plus cléments. Sur le GPS, ça semble être le cas, mais en attendant on doit encore sortir de la forêt. Soudainement, on entend un cri provenant d'un peu plus loin. On reconnait la voix de Benji qui hurle « Putain j’en ai marre !!! » mais on n’est pas sûrs d’avoir bien entendu. Peut-être était-ce un cri de délivrance ? Quand on arrive peu après à une échelle (oui, une échelle, le truc vertical), on comprend que ce n’était pas une délivrance. Heureusement elle ne fait que 2m, 2m50 de haut et il nous est possible de se passer les vélos sans devoir les jeter ni démonter les bagages. Mais si une plus haute devait se présenter à nous, je ne sais pas ce qu’on pourrait faire.
A ce moment-ci de l'histoire, voici la situation de nos protagonistes :
  • A l'avant, Benji en avait déjà plein le sac avant d'entrer dans la forêt suite à sa casse de selle et à la perte d'un bout de son porte-bagage wallégéne magique tchic-tchac go. Il a envie de retrouver sa copine, et peut-être de repartir avec
  • Avec lui, il y a Fab avec une côte cassée et un tendon d'achille qui siffle de plus en plus fort
  • Dans le groupe arrière, il y a Francky qui a de plus en plus la tête de celui qui se demande ce qu'il fout là
  • David semble zen, mais il a une côte en moins et semble boitiller un peu. En effet, il n'a pas assez redescendu sa selle quand il a récupéré son vélo et il s'est peut-être abimé un peu le tendon rotulien
  • Et il y a moi, Mister Guigne, qui se demande si je ne vais pas devoir finir cette Epopée à pied tant le matos semble vouloir ne pas tenir
J'ajoute à cela qu'il pleut toujours, qu'il commence à faire sombre dans les bois. Franchement, en me faisant ce bilan intérieur, je n'en mène pas large.
Il arrive toujours un moment où tu te demandes si tu dois continuer ou rebrousser chemin. Le GPS indique 2km 5 à faire, ça donne envie d’avancer, mais si ça devait devenir pire ? Si on devait croiser un échelle de plus de 3 mètres ? Si le chemin devait s'arrêter ? On pourrait toujours essayer de traverser la Lesse à gué, au point où on en est...
Par chance, un pont se présente à nous et nous fait traverser la rivière. À partir de là, le chemin redevient large et roulant, on peut enfin quitter la forêt et entrer dans Houyet. On est bloqué par un train traversant la voie ferrée et Francky se réjouit qu’une gare soit toute proche de nous. Je lui demande la raison, et il m’indique qu’en tant qu’employé SNCF il dort toujours mieux avec un train à proximité. Je comprends plus tard qu’en fait il envisageait le fait de quitter l’aventure.
On arrive au gîte où nous attendent nos deux poissons pilotes (qui en fait nous devançaient au mieux d’une ou deux minutes), Marie et son fils, ainsi que la propriétaire du gîte. Celle-ci explique à Marie les différentes modalités, car elle semble prendre conscience qu’aucun des rouleurs n’est vraiment en mesure de bien écouter ce qu’elle a à dire. On est tous exténués, les jambes déchirées par les ronces, complétement trempés. Faby m’indique que Benji était proche rupture et a vraiment exprimé son ras le bol. Il aurait limite balancé son vélo au niveau de l'échelle. Par contre il se marre en me montrant qu’il y a un camion à pizzas stationné juste devant le gite. Bon, on ne pouvait pas deviner, mais c’est vrai que c’est rigolo.
Je téléphone à Zouzou pour la rassurer car elle cherchait à me joindre depuis un moment, et en même temps que je lui parle, je regarde les troupes. Je vois effectivement que Benji ne rigole pas du tout. Francky a également le masque. Faby boitille. Seul David me semble serein. Dire que demain nous attend la pire des étapes. Presque 80 bornes, plus de 1500 m de D+... Et en plus il va pleuvoir. Si par malheur le début du chemin est similaire à ce qu'on vient de faire, on va perdre tout le monde. 
Tout en discutant avec Lise et en lui indiquant que franchement, elle est dure cette Épopée, et que je commence à me demander si on va réussir à rallier l’arrivée tous ensemble, je vois un panneau signalétique indiquant le Ravel à 3km. Le Ravel, c’est un réseau d’anciennes voies ferrées transformées en route pour vélos. Et là ça me semble évident : on va changer l’étape de demain. Plutôt que de suivre la Trace au risque d’enchainer les galères, on va prendre le Ravel tant que c’est possible, puis la route, pour rallier Bertrix. OK, c’est pas la même aventure, mais on a tous besoin de souffler, de pédaler parce qu’aujourd’hui on a beaucoup poussé et porté, et puis un peu de bitume permettra aussi à nos machines d’avoir du repos, car elles aussi sont soumises à rude épreuve. Je le dis à Zouzou, et elle me confirme qu’il vaut mieux arriver tous ensemble par un parcours un peu allégé que rester bloqué sur notre Trace et ne pas finir en équipe.
Quand je raccroche, David vient me voir pour me dire qu’il faut qu’on fasse quelque chose pour demain car les autres vont raccrocher. Je lui propose mon plan, et il dit direct banco. Quand je l’annonce aux autres, j’ai l’impression qu’une chape de plomb est ôtée de leurs épaules. Les sourires reviennent.
On va alors laver les vélos dans une humeur de plus en plus légère. Les sourires se font plus larges, et les vannes recommencent à fuser. Puis on rentre prendre une bonne douche. Marie nous propose gentiment de faire une lessive et on ne se fait pas prier.
Une fois tout le monde nettoyé, on se retrouve dans la pièce principale du gîte où on va passer une excellente soirée. On se goinfre de pizzas, on descend moultes canettes de Jupi et de Leffe, on joue au billard, et on finit en short torse-nus dans les canapés, à discuter de tout et de rien. Comme dit David, ça tombait bien que cette soirée-là soit en gîte, c’est pile poil ce qu’il fallait pour renforcer encore d’avantage la cohésion du groupe. Après avoir galéré ensemble, été hyper solidaires pour franchir les obstacles, on se décontracte en se disant que demain sera une étape de transition. Certains oseront même l'expression "étape de repos", mais peut-on parler de cela quand il s’agit de traverser les Ardennes belges ? On verra ça demain.
Oui, je rentre (un peu) mon ventre
Francky, devant sa consommation personnelle
Des bières et du Cétavlon : il en faut peu pour être heureux

En attendant, on profite et on vide encore quelques bières en rigolant. On a convenu de ne pas se lever  trop tôt, et de ne partir que quand la pluie sera calmée, donc on peut la faire tardive ce soir. Je m’isole dans un coin pour préparer ce compte-rendu avec mon dictaphone. Il est à ce moment-là 23h30 et sur les 10 minutes d’enregistrement, il y en aura au moins 5 où on entend le rire de Faby en fond sonor.
Cette préparation de compte-rendu me force à prendre du recul sur cette journée et sur l’Epopée en général, car quand on a la tête dans le guidon ce n’est pas évident de voir exactement les choses telles qu’elles sont. Je regarde les copains qui semblent épuisés, mais soulagés. Heureux mais contrariés. Ce qu’on vit est formidable, c’est une aventure géniale, mais pour le moment on n’a pas été épargnés entre les chutes, les problèmes mécaniques et les galères de parcours. Qu’est-ce qu’elle est belle, mais qu’est-ce qu’elle est dure cette Épopée !

3 commentaires:

Unknown a dit…

Franchement les gars....
CHAPEAU
J'en ai la chair de poule et..........ne riez pas ..les larmes aux yeux.
Allez courage , ça va l'faire

Francky et Céline a dit…

Avec le temps, la difficulté de cette étape s'était un peu estompée. Mais quelle journée de galère !!!

Unknown a dit…

Vous les aurez bien méritées les bières à l'arrivée! Wow!